1 février 2012

Les gaspillages Lean expliqués par mon chauffagiste

La valeur ajoutée vue par le client, les gaspillages, tout ça pour vous c’est du chinois.

Le lean et ses promesses de gain de 30 % de productivité dès la première année c’est une gigantesque arnaque du niveau de la potion magique de Panoramix, capable de rendre tout le monde invincible y compris les bébés et les vieillards.

Prenez le temps de lire cet article et vous comprendrez tout.

Je vais vous raconter une histoire : la dernière (et pas seulement en date :-) ) intervention de mon chauffagiste sanitaire.

Les travaux prévus

Déposer un élément cassé (lors d’une intervention précédente) sur un radiateur en fonte de plus de 150 kilos.

Supprimer le bruit intolérable de la chaufferie

Poser une barre de sortie de baignoire

Boucher quelques trous laissés béants lors des précédents passages de tuyaux d’un étage à l’autre

Pour l’anecdote : c’est le deuxième hiver que nous passons avec le radiateur cassé donc sans chauffage dans la chambre et que nous descendons régulièrement à la chaufferie faire taire l’orque qui en a pris possession et qui empêche tout le monde de dormir.

Les préparatifs

Après quelques recommandés, notre vénéré sanitaire-chauffagiste nous a enfin trouvé une place dans son emploi du temps surchargé.

Contente ? oui car nous allons pouvoir changer de sujet mais inquiète, terriblement inquiète.

La dépose de l’élément d’un radiateur bien installé depuis 1936 n’est pas une mince affaire. Il faut sortir le radiateur, enlever l’élément et le rentrer.

J’ai bien menacé le patron (alias Gargamel, depuis qu’il joue à l’apprenti sorcier avec le bruit de la chaufferie en changeant tantôt une vanne, tantôt une pompe et tantôt en attendant une influence divine en regardant la chaudière …) de mettre tout le monde dehors si ses ouvriers venaient sans protection comme d’habitude mais je sors tout de même tous mes vieux draps et mes toutes mes bâches.

Ce n’est pas « au cas où », je sais que j’ utiliserai tout. La conception de la protection n’est pas la même pour tous …

Une bonne journée s’annonce

Ils arrivent. Ils sont même moins en retard que d’habitude.

En plus ils sont deux. Normal me direz-vous pour manipuler un radiateur de plus de 150 kilos ! et oui, mais la première fois (celle où il a été cassé), Gargamel n’en avait envoyé qu’un …

L’architecte leur explique ce qu’il y a à faire.

Première surprise, ce sont des chauffagistes et personne ne leur a parlé de la barre de baignoire … qu’ils n’ont pas.

Vous restez calme, vous, quand vous prenez une journée de congés pour les « garder » chaque fois qu’ils daignent venir ?

Le radiateur ?

Non, on ne peut pas le sortir à deux. il faut être quatre ! on va devoir déposer l’élément dans la pièce.

Pour que vous rendiez bien compte, il faut coucher le radiateur, le chauffer au chalumeau et avec un outil spécial très long pour faire bras de levier on le décroche … en sautant sur l’énorme clé qui est au bout de l’outil.

Sur mon parquet en pin massif d’époque (bois mou par excellence)  avec des lames de la longueur de la pièce introuvables aujourd’hui !

HORS DE QUESTION !

L’architecte appelle Gargamel qui confirme que les chauffagistes feront le sanitaire et que la dépose de l’élément se fera dans la pièce ou ne se fera pas.

Seule, j’aurai mis tout le monde dehors mais l’architecte veille au grain.

De solides protections et tout se passera bien …

Après d’aussi bons débuts, il aurait été dommage de ne pas continuer

Pour simplifier j’appellerai le plus jeune des ouvriers,le jeune et l’autre l’ainé.

Le jeune va chercher les protections dans la camionnette : deux plaques de placo et un rouleau de bulpack.

Il ressort, revient avec une brique, une bassine sale  et un seau de récup qui a déjà du faire au moins deux guerres.

Pendant ce temps, l’ainé continue à deviser avec nous.

C’est parti (ça fait une heure qu’ils sont là).

La clé à molette officie dans les mains du jeune sous l’oeil avisé de son ainé.

Il faut un tourne vis, le jeune va le chercher dans la camionnette. Il n’est pas assez grand … pas de chance, plus grand on n’a pas … heureusement l’architecte a.

Il va à sa voiture, les deux autres attendent.

Le radiateur est plein d’eau, on vidange. On remplit trop la bassine, on ne peut pas la sortir de là où elle est coincée sans mettre de l’eau partout.

Où est le chiffon ? dans la camionnette, quelle question ! un voyage à la camionnette plus tard, on continue la vidange.

Je dis « on » mais en fait seul le jeune travaille et nous sommes trois à le regarder faire.

L’ainé a un air inquiet. Il finit par dire ce qui le tracasse. Le tuyau d’arrivée est chaud, il va falloir vidanger tout le circuit. Génial, au moins, nous serons tous à égalité, il n’y aura plus de chauffage nulle part.

Oui sauf que si le radiateur est cassé, c’est parce qu’on lui a mis un té de règlage pour justement … pouvoir le déposer sans vidanger ! Trouvez l’erreur.

L’erreur,  c’est que quand il fait aussi froid dehors, le thermostat ne coupe pas complètement l’eau.

Il aurait fallu faire cette opération en été (s’il n’avait tenu qu’à moi …). Nous sommes donc en présence d’un règlage qui règle … sauf par grands froids.

Pourvu qu’on s’en souvienne lorsque nous déciderons de repeindre la pièce.

Vidangeons. Le jeune va à la camionnette chercher ce qu’il faut, puis dans les combles couper le circuit du haut et l’ancien va à la chaufferie. L’architecte en profite pour lui montrer le deuxième problème à traiter : le bruit insupportable de la chaufferie audible de la cave au grenier.

Garmamel  a décrété qu’aujourd’hui, on « bouchonnerait » le circuit de retour pour voir si ça change quelque chose (vous comprenez le surnom je pense ?). Mais l’ancien dit que ça vient de la vanne. Il va la démonter pour voir.

Pauvre  vanne !

Tous ceux qui passent la démontent, prennent un air inspiré pour regarder si elle est montée dans le bon sens (une notice ? pourquoi faire ?), la remontent dans l’autre sens, pour voir que ça ne change rien et la remettent dans le sens initial. Mais ce coup ci, pour savoir, il faut de l’eau dans les tuyaux et là, il n’y en a plus …

Pendant ce temps, moi, je me suis rendue utile. Voyant des outils posés avec plus ou moins de délicatesse sur la chaudière, je suis allée chercher une protection.

Mais cette notion n’étant pas familière sans le milieu du bâtiment, les ouvriers en ont un peu peur et dès qu’ils veulent poser (pas sure que ce soit le bon verbe) un outil, ils cherchent du regard un endroit non protégé … le chauffe-eau ! pas mal ça …

Quelle maniaque ? Ben non, ce n’est pas parce que ce ne sont pas des objets de salon qu’on peut leur lancer des clés à molette. C’est fragile ces petites choses et au prix que ça coûte, on peut en prendre un peu soin.

Mais revenons à notre radiateur

La petite troupe remonte d’un étage. Le jeune, l’ainé et l’architecte (on n’en fait plus des comme ça) couchent le radiateur sur les protections.

L’ainé bouchonne les tuyaux. On remet l’eau. L’ainé va à la chaufferie, le jeune fait le tour des radiateurs pour purger. Je fournis escabeau, petit banc, sopalin. En bas, j’entends l’ainé qui s’impatiente, nous avons beaucoup de radiateurs …

Enfin, l’opération du malade peut commencer. Le jeune amène le chalumeau. L’ainé chauffe le radiateur et installe son bras de levier et sa grosse clé … qui dépasse des plaques de placo. Il glisse un chiffon sous la clé. Il est plein de bonne volonté. Il essaie de manoeuvrer la clé à la main … sans succès.

Il dit qu’il faut le faire avec le poids du corps, qu’il ne peut pas faire autrement mais que la clé va « sauter ». D’accord s’il met une protection en bois sous sa clé pour amortir le choc.

Il n’en a plus. Je propose quelques madriers que nous avons à la cave, ça ne va pas, c’est trop haut.

Pas grave, de toute façon, il est onze heures et demi et comme il faut retourner au dépôt chercher la barre de baignoire et la perceuse, il ramènera des protections supplémentaires.

Moi aussi j’ai besoin d’une pause …

Vers une après-midi productive ?

Ils reviennent avec une planche et une pile de draps blancs nickel (ils ne doivent pas servir souvent :-) )

L’opération se passe sans problème (enfin pour aujourd’hui, on verra le résultat final lors de la repose).

Mais que va t’on faire du radiateur ? le laisser sur place, quelle idée. Debout ? ah non, trop dangeureux. Parce que couché sur deux plaques de placo de tailles différentes, genre piège trois en un dans une chambre à coucher, ce n’est pas dangereux ? et combien de temps ? jusqu’à ce que le peintre soit passé (me voilà rassurée !)

Ca glougloute de partout, on repurge, l’ainé dans la chaufferie, le jeune dans les étages.

Retour à la vanne. Le bruit persiste.

Le fournisseur est interrogé, ce n’est pas la vanne.

Gargamel est interrogé, il va passer.

Il passe, content de lui, comme d’habitude. Il décide de changer la vanne. On l’a déjà changée une fois, mais peut être qu’avec une guerre d’usure, elle va se lasser, sait-on jamais. Par contre, cette fois on change de marque. DEMAIN ? demain (moi qui me réjouissait de ne plus les voir …).

Pendant ce temps, le jeune a rebouché les trous.

Passons à la pose de la barre de baignoire. Il faut percer les carrelages. L’ainé commence. Ca ne perce pas grand chose.

La sueur perle, ça ne perce toujours pas.

Je commence à soupçonner le matériel. En effet, ce n’est pas le bon. Ils sont chauffagistes et ont une perceuse de chauffagiste. Il aurait fallu la perceuse pour carrelage, comme celle des sanitaires.

Si déjà, ils sont allés au dépôt à midi chercher la perceuse et la barre de baignoire et si déjà ils sont revenus sans la barre de baignoire qu’un porteur spécial a apportée dans l’après midi, ils auraient au moins pu revenir avec la bonne perceuse !

Ils sont partis. Sur les 4 choses prévues, ils en ont fait deux. Ils reviennent demain.

A 22 heures, trouvant la température un peu basse, nous avons jeté un coup d’oeil à la chaufferie. La chaudière ne fonctionnait plus. Dehors, il fait -10. Pas un bon jour pour être en panne de chauffage.

Gargamel ne décroche pas. La société de maintenance nous dépanne par téléphone.

Demain sera un autre jour

Valeur ajoutée perçue par le client ?

Si j’étais puriste, je dirais zéro puisque je ne paie rien : on répare et on refait ce qui aurait du et pu être fait lors des interventions précédentes (sans surcout de main d’oeuvre).

Mais je suis généreuse …

Après cette journée de travail à deux : les trous sont rebouchés …

Je ne compte pas le radiateur car mon attente n’est pas d’avoir un radiateur couché dans ma chambre mais un radiateur reposé sans fuite et ça … c’est une autre histoire.

Les gaspillages

Les palabres du début. Gargamel aurait du gérer ça en amont et, sachant la situation conflictuelle, gérer lui-même sa cliente.

Toutes les opérations liées à la vidange du circuit (la vidange et les deux purges)

Tous les allers et retours à la camionnette et au dépôt

La livraison « express » de la barre de baignoire

Le démontage / remontage de la vanne

Les conséquences de l’utilisation d’outils inadaptés

Mauvaise organisation du travail à deux

Que faudrait-il mettre en place pour y remédier ?

Organiser le travail en amont. Décider du mode opératoire, s’y tenir et donner aux ouvriers les moyens de s’y tenir

Equiper correctement les camionnettes, les boites à outils

Prévoir quelque chose pour poser les outils et les pièces déposées sans les mélanger

Faire une liste des outils à emporter par opération (y compris les protections)

Faire préparer par le magasin les produits à emporter pour assurer la mission

Organiser le travail en début de mission. Qui fait quoi, quand faut il être à deux …

Convaincu(e) ?

Je suis prête à parier que Garmamel vous a convaincu(e) qu’il peut et doit faire quelque chose, qu’il gagnera bien plus que 30 % de productivité.

Mais en quoi Gargamel est-il différent de vous ?

Il a une société qui gagne de l’argent depuis des décennies, qui a bonne réputation sur la place, qui a une équipe de gens compétents.

Et finalement, que c’est il passé aujourd’hui ? du très classique : une suite de petites choses pas bien graves … mais qui mises bout à bout pourrissent la vie du client et …

et jettent l'argent du patron par la fenêtre

Si comme Gargamel, vous vous préoccupez essentiellement de la dernière ligne de votre bilan, vos clients peuvent sans doute écrire aussi, quelques histoires à votre sujet.

C’est uniquement en vivant la vie du client qu’on voit ces choses. En vivant ! pas en imaginant !

Dans le Lean, nous avons un outil qui s’appelle le GEMBA. C’est du japonais, ça veut dire « aller sur le terrain, là où se créé la valeur ».

Accompagnez vos monteurs, attendez vos camions, suivez le déchargement  et tout ce que le client fera ensuite avec vos produits.

Avec l’aide de quelqu’un, posez une question à votre « hot line », passez une commande, demandez une réduction de délai …

Mais ne le faites comme Gargamel le ferait, en étant sût au départ que vous êtes le meilleur et que, si les techniques que vous utilisez depuis 40 ans n’étaient pas les bonnes, il y a longtemps que vous le sauriez.

Faites le pour apprendre, pour voir avec les lunettes de votre client et … pour revenir avec une liste d’idées pour améliorer votre service et, indirectement, votre « bottom line ».

Tous les jours je côtoie des gens plein d’indulgence envers les petites défaillances de leur équipe qu’ils ne toléreraient pas dans leur vie privée … c’est à dire quand eux, sont les clients.

Cet article ne peut pas vous laissez indifférent. Dites-moi ce que vous en pensez avec un commentaire ou  contactez-moi

A bientôt

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>


:wink: :-| :-x :twisted: :) 8-O :( :roll: :-P :oops: :-o :mrgreen: :lol: :idea: :-D :evil: :cry: 8) :arrow: :-? :?: :!: